Métonymiques

Quel effet le désir imprime-t-il sur notre perception des objets ? Cette question contemporaine, largement exploitée dans les mouvances du féminisme, de l’art corporel, de la photographie de l’« extime » ou de la sculpture biomorphique, trouve dans les propositions d’Axelle Remeaud l’occasion d’une synthèse esthétique, voire esthétisante. Ni renouvellement de la critique de l’aliénation sexuelle, ni grand discours sur l’émancipation, cette œuvre émergente neutralise les grands mots au profit des images. Avec Métonymiques, la référence à la littérature ne vise donc pas tant la parole poétique que l’imaginaire qu’il suscite à coup de déplacement, de déformation, de fragmentation, de travestissement et de métamorphose. Les œuvres d’Axelle Remeaud travaillent ces relations substitutives (la réduction du tout à la partie, du contenant au contenu, de l’artiste à l’oeuvre) pour exploiter au mieux la plasticité de notre visibilité libidinale : le fétichisme, le voyeurisme, l’exhibition, en un mot les modalités du fantasme, jusqu’à la plus sadique. Le mécanisme du désir n’est en effet pas ici pure affirmation, il se compose des rejets et des différés dans lesquels se noue la relation à l’objet, selon un jeu bien connu des psychanalystes entre pulsion de vie et pulsion de mort. A travers des chignons montés en trophée, une assemblée de sculptures-poings ou des seins d’agrumes fixés dans du miel, Axelle Remeaud exploite, avec un réel souci du matériau, la créativité plasticienne de nos regards intimes.

La métonymie est un moyen d’atteindre un objet par un détour symbolique. Dans le travail d’Axelle Remeaud, ce détour prend une forme plastique, celle de matériaux appréciés pour leurs capacités métamorphiques : matières organiques (résine) et biologiques (végétales, animales), ou matériaux picturaux (du papier à l’image vidéo). La valorisation de la matière compense en un sens la perte de l’objet, déformé par nos perceptions désirantes, mais elle permet surtout, et avant tout, de séduire le public. Le scintillement d’avant-bras en silicone, le composé chromatique des tableaux de miel, la netteté du trait ou la préciosité d’un squelette emplumé sous cloche accrochent le regard du spectateur, et le dispose à la contemplation. Pourtant en seconde approche, l’œuvre révèle des aspects troublants, freinant l’élan d’adhésion et lui opposant un retour pulsionnel, une répulsion. Chevelure par exemple manifeste en première lecture tous les attraits d’une pièce onirique, mobilisant l’imaginaire enfantin des princesses aux longueurs capillaires, la charge érotique de la représentation classique de la féminité et la symbolique de la sophistication séductrice. En seconde analyse toutefois, le chignon se fait instrument d’une réification de la femme, montée en trophée de chasse, face auquel s’installe un certain malaise, accentué par l’absence de visage, fantomatique ou mortifère. La multiplication des chignons confirme l’expérience d’un objet étrange, semblant se replier sur lui-même, et créant en son milieu, sous des atours brillants, une sorte de béance, un point de fuite sombre, une menace d’invagination.

Bien que nourri des réflexions sur le corps féminin (de Woolf à Foucault), ce travail interroge moins la sexualité comme fait social qu’en tant que medium à part entière, ressort d’une fantasmatique inépuisable. Assumant l’héritage des plasticiennes qui lui ont ouvert la voie (davantage Claude Cahun, Mireille Avet et Kiki Smith que Bourgeois et Messager), Axelle Remeaud travaille en femme émancipée, affranchie, parfois éhontée, avec les codes de son propre corps, sans complaisance, ni victimisation, cherchant peut-être à expérimenter ce que Lacan entend par jouissance, le sentiment doux-amer du réel, qui va « de la chatouille à l’immolation ».

florian gaité, mai 2013

The anatomy of gender


Woman is at the heart of Axelle Remeaud’s body of work. Through the dreams of disillusioned sentimental little girls she reveals the angel, the temptress, the fertile goddess and the obscene medusa. Mouth, breasts, vagina, legs, high heels, wedding gowns, floral motifs... the entire scope of the feminine conjugated as desire, curvy symbols, and fragments of an anatomy that, separating the parts from the whole, revels in fetishism. The young artist skillfully weaves knitting and introspection with the rejection of misogynist stereotypes, inspired as much by portraiture as by Gender Studies, while avoiding the corny and conceptual.

Far from tame, her work is irreverent, malicious, impertinent, subtle, and dangerously sensual, full of ironic contradictions and critical ambiguity. Seduction is a trap where the attractive flirts with the repulsive, where desire meets disgust. Genres and eras blur to form a hybrid that echoes the formal rhetoric of the surrealists and inspires the imagination. Emerging from the rapid stroke of a pencil, separated from the rest of the body, female body parts reveal carnal topographies, an unknown and complex landscape teaming with life in the form of ancient forests and mythical creatures alike. Alternatively, the simple photograph of an Indian landscape takes on an organic dimension. No stranger to perspective or texture, Remeaud easily grasps the depth of her subject and excavates the territory around it until she reaches the core of its unconscious.

The shadows of Louise Bourgeois and Annette Messager are subtly cast on her work, which also recalls the morbid eroticism expressed by Hans Bellmer and Georges Bataille. Latex legs severed at the thigh are cast on the ground like corpse, inviting perennials to spring up between them. Sex fornicates with death. Beyond the image of woman, beyond a fertility magnified by fantasy to the limits of monstrosity, the artist questions the notion of the living. One is reminded of Blaise Cendrars’s heroes from Maravagine traveling up the Orinoco river, where madness emerges to entangle them in hairy flowers and submerge them in murky waters. Here is the rot of nature which is none other that life itself.

Céline Piettre.

(Traduction Lee Brunet)

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